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Mer Blanche, A la recherche des premiers animaux

Vidéo par Aleksei GOLOVKOV

Texte par jean VANNIER

Longtemps dominé par des organismes microbiens et unicellulaires, le milieu marin a connu de profonds bouleversements à la fin du Précambrien (Ediacarien) avec l’apparition des premiers animaux. Ce sont des analyses géochimiques réalisées à partir de fossiles à conservation exceptionnelle de la Mer Blanche (Nord de la Russie) qui ont confirmé en 2018* l’appartenance au règne animal de plusieurs espèces précambriennes à l’aspect étrange sans équivalent dans la nature actuelle (Fig. 1).


Figure 1. Quelques organismes typiques du Précambrien de la Mer Blanche, apparentés au règne animal.  A. Dickinsonia; B. Kimberella; C. Dickinsoniidé indéterminé; D. Archaeaspinus. Barres d’échelle: 1 cm.

Leur âge se situe entre 550 et 540 millions d’années, bien avant l’Explosion Cambrienne qui marque l’avènement d’animaux résolument plus familiers, tels que les arthropodes, les mollusques ou les cordés. Ces organismes précambriens sont aplatis, segmentés mais apparemment dépourvus d’organes internes, tel Dickinsonia, un fossile emblématique de la faune de la Mer Blanche et connu à la même époque dans d’autres régions du monde. Le mystère qui entoure leur mode de vie et leur place exacte dans l’histoire évolutive du règne animal reste toutefois entier.

Figure 2. Les participants à la mission 2019. De gauche à droite : Aleksey Nagovitsyn, Aleksei Golovkov, Anna Ivleva, Andrey Ivantsov (organisateur),Victoria Ershova et Jean Vannier.

J’ai eu la chance de participer en Juin et Juillet 2019 à une mission d’exploration dans la Péninsule d’Onega, à une centaine de kilomètres de la ville d’Arkhangelsk dans le nord de la Russie. Le but était d’acquérir de nouvelles données paléontologiques et paléoenvironnementales dans l’Ediacarien de la Mer Blanche mais également d’échantillonner des coupes (niveaux de cendres volcaniques) en vue de datations radiochronologiques plus précises. Cette mission réunissait plusieurs experts russes du Précambrien comme Andrey Ivantsov (Moscou), Aleksey Nagovitsyn (Arkhangelsk), Victoria Ershova et Anna Ivleva (St. Petersbourg),Maria Schaltegger-Ovtcharova (Genève, datations) ainsi qu’Aleksei Golovkov, un producteur de films scientifiques (Fig. 2). La plupart des affleurements étudiés sont situés entre la taïga et le rivage de la Mer Blanche (Figs 3-5) dans une région sauvage protégée, sans accès routier, peu habitée (Figs 8-9), où il n’est pas rare de rencontrer des ours (Fig. 6), des élans et des loups.

Figure 3. Rivage de la Mer Blanche, fin juin, un peu avant minuit.

Figure 4. Camp entre mer et taïga près de Lyamtsa.

Figure 5. Affleurements et extraction de fossiles. Jean Vannier et Andrey Ivantsov. En bas à droite : Dickinsonia à la surface d’une dalle.

Figure 6. Empreinte d’ours près du camp.

La conservation exceptionnelle des fossiles est due à l’absence de mouvements tectoniques et de métamorphisme ainsi qu’à un enfouissement rapide lié à des dépôts de tempêtes. Les alternances de mudstones, siltstones et sandstones qui affleurent en falaise sont ainsi aisées à exploiter et permettent l’extraction de grandes dalles de roche. A leur surface, il est fréquent de trouver des organismes très bien conservés et associés à leurs traces d’activité (Fig. 7).

Figure 7. Un exemple d’association animal-trace, Précambrien de la Mer Blanche. A droite à gauche, Yorgia et ses traces successives laissées sur le tapis microbien. Echelle : 10 cm.

Cette source exceptionnelle d’information permet de mieux comprendre comment ces animaux primitifs se déplaçaient sur le fond marin et se nourrissaient. Le développement de la locomotion est un événement majeur qui a permis aux premiers animaux d’explorer de nouveaux environnements et d’exploiter une plus grande variété de ressources alimentaires. Il a également contribué à l’accroissement de la bioturbation modifiant ainsi les conditions physico-chimiques des sédiments marins, un événement crucial que certains chercheurs ont qualifié de « Révolution Agronomique ». Il semble que certaines formes de la Mer Blanche tels Dickinsonia ou Yorgia se déplaçaient à la surface des tapis microbiens qui recouvraient les fonds marins pour en extraire des substances nutritives par digestion externe. En revanche, d’autres espèces plus complexes telles que Kimberella sont associées à des traces de broutage comparables à celles laissées par des mollusques sur des surface algaires. Le matériel fossile récolté au cours de cette mission ainsi que d’un nombre important de spécimens déposés dans les collections du Palaeontological Institute de Moscou feront l’objet d’analyses détaillées, notamment le scannage et l’imagerie 3D des réseaux de traces. L’étape suivante, quant à elle, sera de rechercher des équivalents à ces comportements locomoteurs et alimentaires dans la nature actuelle grâce à l’observation de Placozoaires (ex : Trichoplax) et de Xenacoelomorphes, deux types d’organismes situés à la base de l’arbre phylogénétique du règne animal et tout aussi étranges que leurs lointains ancêtres précambriens. Suite de l’enquête dans quelques mois.

*Bobrovskiy, I. et al. 2018. Science 361, 1246–1249 (2018).

Figure 8. Eglises en bois du 17ème siècle, village de Pournema.

Figure 8. Maisons du village de Lyamtsa.

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