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Quoi de neuf dans le petit monde des échinodermes stylophores ?
Jusqu’à présent, l’objectif principal de mes travaux de recherche a consisté à tester l’une des principales hypothèses concernant l’origine des vertébrés. Mon DEA (1995) et ma thèse (1999) ont eu pour objet l’étude des “homalozoaires” ou “calcichordés”, et plus particulièrement ceux de la classe des stylophores. Les stylophores étaient interprétés jusqu’alors soit comme des échinodermes primitifs et aberrants, sans symétrie cinq, soit comme le “chaînon manquant” entre échinodermes et vertébrés. Il est en effet aujourd’hui clairement établi que les échinodermes (oursins, étoiles de mer) et les chordés (vertébrés) sont étroitement apparentés au sein du règne animal, ce qui suppose l’existence d’un ancêtre commun à ces deux groupes. L’objectif de mes travaux était donc de déterminer si les stylophores (et les carpoïdes en général) représentent cet ancêtre commun.
L’essentiel de mon DEA (1995) a été consacré à la comparaison minutieuse de l’anatomie des stades adultes et larvaires de divers chordés actuels (notamment les ascidies et Amphioxus) avec les nombreuses impressions préservées à l’intérieur du squelette calcitique de certains mitrates. Au cours de la thèse (1999), l’extension de l’étude à l’ensemble du sous-phylum des "homalozoaires" (quatre classes) allait permettre de préciser l’anatomie de ces fossiles, puis de la confronter à un nouveau modèle d’homologies de la paroi du corps chez les échinodermes : l’EAT. L’EAT (ou Extraxial Axial Theory) permet d’établir, à partir d’arguments embryologiques et non pas simplement sur des similitudes de position, quelles sont les parties du corps équivalentes au sein des différentes classes d’échinodermes. Ce nouveau modèle bouleverse totalement notre conception de ce phylum en montrant que le plan d’organisation des échinodermes n’est pas pentaradié (symétrie rayonnante d’ordre cinq), mais linéaire et comparable à celui des autres métazoaires. La démarche adoptée lors de la thèse s’est donc résumée à celle d’un test : s’il est possible d’appliquer le modèle EAT aux morphologies atypiques des "homalozoaires", alors il ne fait alors aucun doute que ceux-ci sont bien des échinodermes ; si cela se révèle impossible, d’autres scénarios sont alors envisageables, y compris celui d’après lequel ces fossiles seraient les ancêtres des vertébrés.
Principaux résultats :
Les "homalozoaires" sont des échinodermes : la situation phylétique des stylophores et des trois autres classes d’"homalozoaires" (cinctas, cténocystoïdes et solutes) au sein de ce phylum a pu être précisée grâce au nouveau modèle d’homologies du squelette (EAT). Ce modèle permet d’identifier des composantes “axiales” et “extraxiales” chez tous les "homalozoaires" : l’appartenance de ceux-ci aux échinodermes ne fait donc aucun doute. La position phylétique des “carpoïdes” au sein des échinodermes est ensuite déterminée à partir de la nature de leurs extensions de la paroi du corps, constituées soit uniquement d’éléments axiaux (brachioles), ou d’éléments axiaux associés à une armature extraxiale (bras).
Les solutes sont des blastozoaires caractérisés par la possession d’un brachiole unique, dressé ; la bouche, intrathécale, s’ouvrait à la base de ce brachiole.
Les cinctas sont des blastozoaires caractérisés par la présence de deux brachioles reployés sur la paroi de la thèque ; la bouche correspond à l’orifice situé sur le cadre marginal, à la confluence des deux brachioles.
Il est probable que les cténocystoïdes représentent un groupe proche des cinctas, car comme ceux-ci, ils possèdent deux brachioles reployés sur la thèque et une bouche s’ouvrant dans le cadre marginal.
Les stylophores sont caractérisés par la possession d’un bras unique, comparable en morphologie à celui des crinoïdes et des astérozoaires (ophiures, étoiles de mer). Ce bras correspond aux parties médiane et distale de l’aulacophore. L’appendice articulé des stylophores représente par conséquent une structure composite constituée d’une expansion de la thèque (anneaux proximaux) et d’un bras. La possession d’un bras représente une apomorphie partagée par les stylophores, les crinozoaires et les astérozoaires. Les stylophores sont par conséquent des échinodermes dérivés, davantage apparentés aux crinoïdes et aux astérozoaires qu’aux blastozoaires.
Le subphylum des homalozoaires est polyphylétique et doit être abandonné.
L’interprétation de l’anatomie des stylophores proposée par Ubaghs (1961) est par conséquent totalement confirmée à la lumière du modèle EAT. L’appendice articulé des stylophores ne représente par conséquent ni une queue, ni une tige. Ces interprétations proposées respectivement par Jefferies (1967) et Philip (1979) sont par conséquent rejetées. L’aulacophore des cornutes et des mitrates n’est aucunement comparable à l’appendice articulé des solutes ; celui-ci correspond à une tige, probablement équivalente à celle de certains éocrinoïdes primitifs.
L’aulacophore est homologue (dans sa totalité) chez les cornutes et les mitrates.
Un modèle d’homologies de plaques, applicable à l’ensemble de la classe des stylophores (cornutes, mitrates), a été mis au point. Ce modèle démontre l’homologie de la face plano-concave de la thèque chez les cornutes et les mitrates, ce qui constitue un argument supplémentaire en défaveur de l’interprétation proposée par Jefferies (l’interprétation de Jefferies impose que la face plane des cornutes soit équivalente à la face convexe des mitrates, ce qui n’est pas vérifié sur le fossile).
Les homologies de plaques permettent d’éviter l’écueil des convergences morphologiques. Tous les groupes de stylophores sont caractérisés par une réduction de l’asymétrie initiale et du nombre de plaques. Cette évolution depuis des morphologies asymétriques vers des contours thécaux plus symétriques est réalisée de manière indépendante, à partir d’architectures initiales contrastées, par chacun des groupes de stylophores (à l’échelle de la famille ou de la sous-famille).
Les grands plans d’organisation développés par les stylophores ont été déduits de ce modèle d’homologies de plaques, ce qui a permis de proposer une nouvelle phylogénie pour l’ensemble de cette classe d’échinodermes. Dans ce nouveau schéma, les cornutes et les mitrates forment deux ensembles monophylétiques partageant un ancêtre commun proche de Ceratocystis.
Le mode de vie des stylophores (respiration, alimentation, reproduction, déplacement,...) a été reconstitué à partir d’analyses morphofonctionnelles.
Le fort potentiel des stylophores pour la reconstitution des paléoenvironnements a été démontré pour la première fois.
L’intérêt paléogéographique et stratigraphique des stylophores a été mis en évidence.